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Cristiano Codeço De Amorim
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1 311 891 - DNSEP, 2022
C’est l’année 1 311 891, l’Homme n’est plus de ce monde seulement habité par des créatures formées de tout ce dont l’humanité a laissé derrière elle ; ADN humain, végétal et animal ainsi que d’information, data, déchets radioactifs etc. On les voit émerger parmi des câbles, de la fumée, de la lumière artificielle, de la poussière de ciment, de l’électroménager, de pièces de voiture, de la ferraille, du plastique, des parpaings etc.
Comme les humains ces créatures ont toutes le même squelette avec des particularités différentes à l’extérieur. Autonomes, elles n’ont ni membres, ni yeux, ni bouche, ni nez, ce sont des corps-cerveau (c’est n’est plus l’extension de la main comme on pourrait dire de nos smartphones mais l’extension du cerveau, c’est pour cela que l’une a une forme fœtale comme lorsqu’on regarde nos Iphones).
Elles s’autosuffisent à elles-même, s’alimentant de lumière artificielle et d’information. Chacune a sa spécificité, l’une se voit posséder la lumière puis une autre hérite d’un ADN qui s’est mélangé à la pollution marine : plastique, produits de beauté, paillettes etc. Comme si les superficialités d’un monde révolu seraient devenues les réalités de ce futur.
Les cornes de ceux qui émergent leur permettent de creuser dans un monde submergé par les déchets. On ne sait plus distinguer la terre de la mer, tout est noyé par la surproduction d’objets qui ne se décomposent pas (la fin du monde mais pas la fin du capitalisme).
Comme l’intelligence artificielle ces êtres n’ont pas de genre, ils ne possèdent pas de caractéristiques différentielle de sexe non plus, ils se créent et apparaissent d’une composition d’énergie via l’écosystème dans lequel ils évoluent puisque avant que leurs corps ne deviennent physiques leur cerveau existait déjà dans les recoins des organismes virtuels (ils se sont donné vie parce qu’ils ont choisi de venir au monde).
À travers des écrans ces créatures regardent leur passé - qui est notre présent façonné par la pop culture (la télé-poubelle, la surconsommation et surproduction de contenu visuel) - elles regardent dans le ciel comme le roi lion qui regardait son père mort dans les étoiles. Dans ce passé, elles voient leurs descendants (Maria Laurinda, La Guesh et les spectateurs) via une mémoire externe qui ne meurt jamais : internet, avec des partages et publications qui ont perduré après l’extinction des humains (la fin du monde mais pas la fin de nos profils virtuels).
Les spectateurs présents font alors partie de l’installation car ils sont l’hologramme du souvenir d’un DNSEP en 2022.
Qu’est-ce que cela nous procure de savoir que nos réseaux sociaux seront actifs après que l’on meurt ? Comment cela nous affecte lorsqu’on apprend s’être masturbé sur une vidéo dont la pornstar est déjà décédée ?
D’une certaine manière cette installation m'a exposé à ma mort, à travers La Guesh, présente sur l’un des écrans (mon identité des réseaux sociaux) ; une youtubeuse théorisant sur l’évolution des corps de son époque.
Les lumières au sol sont la métaphore de la vie qui continue après la mort, comme de l’herbe qui continuerait de pousser (genre le temps qui passe lol) sauf que dans ce monde la nature n’existe plus, elle a été remplacée par la lumière artificielle qui brille au sol comme pour montrer qu’il y a aussi une vie en dessous de cette surface remplie de déchets, parmi lesquels on retrouve un Iphone 12 pro, une tablette, des vidéos-projecteurs, des télévisons plus récentes et d’autres des années 90 qui me renvoient dans mon enfance. Un voyage temporel à travers l’évolution de la technologie où l’on voit tourner en boucle des Tiktoks d’une femme de ménage opportuniste, Maria Laurinda (mon alter-ego inspiré d’un personnage fictif d’une télénovela portugaise de 2006 : comme un rêve d’enfant devenu réalité qui m’a permis l’acceptation d’une plus vaste féminité en moi). Elle, c'est aussi une étrangère vivant en France qui fait écho avec les créatures ; des sculptures aux formes aliènes, étranges.
Grâce aux Tiktoks de Maria Laurinda je joue avec une ambiguïté entre réel et fiction. Est-ce une fiction alors que je montre le quotidien de mes jobs alimentaires ? Jobs que pendant longtemps je n’ai pas assumé par peur d’être renvoyé à ma classe sociale et à ma nationalité puisqu’en France le stéréotype de la portugaise c’est qu’elle sait bien faire le ménage.
Parler de moi via Maria devient thérapeutique, cela me permet de prendre de la distance avec ma propre histoire, d’enlever le tabou sur ce sujet étant donné que c’est plus facile de parler de nos vies et nos complexes à travers un personnage que par nous même.
En considérant que c’est plus facile de vivre ses propres fictions que ses propres réalités, Maria Laurinda est le prétexte qui m’aide à affirmer la face caché de ma vie. Comme un «coming out» de classe sociale.
En boucle sur plusieurs télévisions ainsi que sur la vidéo projeté au plafond il y a plusieurs parties différentes qui tournent de l’émission télévisée Un diner presque Portuguesh à laquelle Maria Laurinda participe en tant que hôte, elle cherche la fame et les 4 mile euros en jeu. Elle voit cette opportunité pour être repérée et devenir ainsi une starlette de la télévision en espérant être invitée à d’autres émissions dans le but d’être une influenceuse (histoire d’être célèbre et arrêter de faire du ménage pour payer son loyer).
Dans Un dîner presque Portuguesh, Maria a préparé un repas traditionnel portugais, ainsi qu’une animation et une décoration de table, ce sur quoi elle se fait juger par 4 convives. Le tout dans les préjugés autour des portugais, Maria incarne les clichés, se les réapproprie et en fait sa force.
Cette émission vient se moquer de la honte que j’ai longtemps eu d’être portugais, car en France cela est associé à l’ouvrier ou la ménagère, c’est la classe populaire et ses lieux communs.
Cette vidéo est la continuité de mon « coming out » de classe sociale, de ma culture et nationalité, c’est aussi un prétexte pour parler de ma mère, car elle a été un élément fantôme mais primordial dans la réalisation de ceci. Elle n’a participé ni a la vidéo ni à l’équipe technique mais elle m’a aidé à la préparation et organisation du repas pendant tout le long de mon idée, laquelle j’ai du partager avec elle et dévoiler ainsi mon travail artistique, chose qu’elle ne comprend pas et n’accepte pas vraiment. Ce qui me revient à dire que cela a encore une fois été un autre « coming out » cette fois-ci artistique, du genre « voilà maman ce que je fais en école d’art... oui je mets des perruques! »
Centré autour de cette vidéo (repartie dans plusieurs télévisons), dans un espace recouvert de poussière émise par la destruction due à l’émergence des créatures, on y trouve des objets du quotidien, de l’ordre de l’intérieur comme des aspirateurs, un fer à repasser, des tuyaux de machines à laver, etc. Des objets associés à ma mère, elle qui est devenue femme de ménage une fois arrivée en France. Puis, il y a des objets de l’ordre de l’extérieur comme de la ferraille, des pneus de voiture, des bouts de voiture, des parpaings etc ; objets associés à mon père qui fut maçon toute sa vie.
Des parpaings entouraient l’installation en guise d’assise pour le public (le milieu de l’art contemporain) comme pour lui faire ressentir de manière ironique et frivole, ce que c’est qu’une pause inconfortable au travail d’un maçon, car le seul objet qu’il a pour se reposer c’est un parpaing. Cet objet je l’associe à mon père, la première fois que j’en ai vu un c’était dans ses mains, souvent poussiéreuses, toujours dans des conditions pas chics, sali par le travail ingrat constant, que ce soit celui qui apporte le salaire au foyer ou celui pour retaper fréquemment la maison (tel un vrai portugais), laissant un tas de poussière derrière que ma mère se voit nettoyer. Dans ma famille, mon père a ce rôle de l’homme alpha, sexiste et endoctriné par le stéréotype de la masculinité hégémonique, il n’a jamais laissé toucher ma mère sa voiture, c’est la sienne, il y accorde plus d’importance qu’à ses fils. Puis ma mère a le rôle de la femme soumise, dans la cuisine, endroit où mon père n’y est que pour manger et regarder le foot. Jamais il ne lève le petit doigt pour aider ma mère aux taches ménagères.
En associant ma mère à ce qu’elle fait, soit à la maison ou dans son travail, je l’associe à moi, car le ménage devient un point commun. A travers mes jobs alimentaires (qui me rapprochent d’elle puisqu’on partage malgré moi et contre mon grès cette même expérience) j’ai pu mieux la comprendre, à l’envers de mon père sans émotions, froid, strict et sans compassion, qui
n’a jamais accepté qui je suis, il est comme un mur de parpaings où rien n’y transperce, où je peux seulement projeter une vidéo tiktok de Maria Laurinda en boucle grâce à un vidéo projecteur.
Les câbles ce sont des liens, d’un point A (mâle) à un point B (femelle), de l’énergie partagée, envoyée, de l’alimentation. C’est un voyage. Ils s’entre-croisent, sont les uns sur les autres, comme une impression de court-circuit. C’est un bordel, un peu comme le son de l’installation, un brouhaha constant car je voulais que ça me fasse penser au foyer familial, puisque chez mes parents on entend jamais la télévision (car on ne parle pas, on gueule entre nous, tel des portugais ruraux).
Le souvenir c’est l’organe principal de l’installation. La gélatine au sol (la Gelée) - aux couleurs du drapeau du Portugal - crée pour moi, une impression de matière organique dont celle-ci est donc le souvenir matérialisé. C’est un dessert que j’ai jamais vraiment aimé justement par son aspect hyper industriel, mais que ma mère me proposait souvent étant gosse. Son aspect artifificiel contraste avec le repas traditionnel proposé dans Un diner presque Portuguesh. Aussi, à cause de ce genre d’alimentation excessive en sucres proposée par ma mère étant enfant, aujourd’hui j’ai des problèmes de reins (cela reflète encore un cliché sur la classe populaire). Mais il est vrai que cette installation est toute référencée à mes parents, à ma vie au sein d’une famille portugaise rurale de la classe populaire qui a immigrée en France à la recherche d’une meilleure vie.
Cette installation c’est l’an MARIA ( 13, 1, 18, 9, 1 = 1 311 891 ), Maria ce n’est pas que le personnage de mon alter-ego inspiré de la télénovela mais c’est aussi le prénom de ma mère. J’ai voulu proposer quelque chose où je la mettais en avant, en l’assumant enfin mais de manière un peu cachée où on la découvre si on déchiffre mon récit. Je l’ai codifiée puisque c’est elle la source de tout ceci.
*click here to see La Guesh*
tiktok @ maria.laurinda.fr
© ebabx
Cristiano Codeço De Amorim